L'IMPACT DE LA MORT POUR L'HÔPITAL
La mort ne s’arrête pas à la chambre où elle survient. Elle traverse les murs, les couloirs, les services. À l’hôpital, elle est une réalité fréquente mais peu visible. Pourtant, chaque décès mobilise des personnes, déclenche des procédures, implique des lieux spécifiques. Son impact dépasse le cadre individuel du soignant ou du patient : il engage l’hôpital dans son ensemble, dans son organisation, sa culture et sa manière d’envisager l’humanité du soin.
Une réalité quotidienne, souvent invisibilisée
Dans de nombreux établissements, la mort est omniprésente… mais rarement nommée. On l’évoque comme un “dossier clos”, un “transfert au funérarium”, un “certificat établi”. Le langage administratif gomme la portée émotionnelle et humaine de l’événement. Pourtant, la mort, même banalisée, continue d’imprégner l’hôpital, d’une manière souvent souterraine.
Et elle touche bien plus de monde qu’on ne l’imagine. Car un décès n’est jamais “localisé” : il implique, directement ou indirectement, une multitude d’acteurs.
Le parcours du défunt : une chaîne humaine discrète
Après la mort, le corps ne disparaît pas : il circule. Il passe par d’autres services, d’autres mains, d’autres attentions. Le brancardier qui accompagne le défunt, l’agent qui nettoie la chambre, le personnel de la chambre mortuaire, le médecin légiste dans certains cas, l’équipe des admissions pour les démarches administratives, les soins funéraires parfois…
Tous ces professionnels participent, sans toujours y être préparés émotionnellement, à cette étape du parcours de soin. L’impact est donc bien plus large que le service d’origine. La chaîne du décès mobilise de nombreux corps de métiers, souvent invisibles, souvent silencieux.

L’organisation face à la mort : procédures et protocoles
Pour répondre à cette réalité, les hôpitaux mettent en place des procédures spécifiques. Bien menées, elles permettent à la fois un accompagnement digne du défunt, un soutien aux équipes et une clarté organisationnelle. Ces protocoles peuvent inclure :
Des fiches réflexes pour les décès (attendus ou inattendus)
Des protocoles de transfert vers la chambre mortuaire
Une traçabilité stricte du parcours post-mortem
Des temps de recueillement proposés aux familles ou aux équipes
Des documents types pour l’annonce à la famille ou les démarches administratives
Une coordination avec les associations cultuelles ou religieuses
Ces dispositifs sont souvent peu connus des équipes. Pourtant, bien utilisés, ils offrent des repères et peuvent soulager les soignants, en donnant un cadre à un moment déstabilisant.
Lieux de recueillement et symboles institutionnels

Plusieurs hôpitaux ont aménagé des espaces dédiés : une chapelle, une salle de silence, un espace multiconfessionnel ou laïc. Ces lieux sont ouverts aux familles… mais aussi aux professionnels. S’y poser, y déposer une émotion, y allumer une bougie ou simplement y respirer peut offrir une respiration symbolique dans le tumulte du soin.
Certains établissements vont plus loin :
Installation de livres de mémoire dans les services
Organisation annuelle d’une cérémonie du souvenir
Projets d’art dans les chambres mortuaires
Charte du soin en fin de vie visible dans les espaces de passage
Loin d’être anecdotiques, ces gestes contribuent à humaniser l’institution.
L’hôpital, entre rationalisation et humanité
Face à des pressions budgétaires, des logiques d’efficience et de flux, l’hôpital peut être tenté d’effacer la mort, de l’accélérer, de la déplacer. Certains services ferment leurs lits immédiatement après un décès, sans temps de transition. D’autres manquent de lieux adaptés pour la famille ou pour le recueillement. Ce fonctionnement, dicté par les contraintes, peut renforcer le mal-être des professionnels.
Et pourtant, l’hôpital est aussi un lieu de fin de vie, pas seulement de soins actifs. Intégrer cette donnée dans les organisations, c’est reconnaître que la dignité ne se joue pas seulement dans le soin curatif, mais aussi dans la façon dont la mort est accueillie.
La mort a un coût émotionnel, humain et organisationnel pour l’hôpital. Elle le traverse en silence ou en tension, parfois dans l’indifférence, parfois dans une attention discrète. Reconnaître cet impact, c’est permettre à l’institution de devenir un lieu d’humanité complète, où l’on soigne, où l’on accompagne, où l’on meurt… et où l’on se souvient.
Former les équipes, ritualiser les étapes, aménager des espaces, penser des protocoles… Autant de leviers pour rendre visible la mort et ses effets. Et faire de l’hôpital un lieu vivant… jusque dans ses morts.