LE DEUIL PATHOLOGIQUE CHEZ LE SOIGNANT
Dans l’exercice du soin, la mort fait partie du quotidien. Pourtant, elle n’est jamais anodine. Si certains décès sont intégrés dans une continuité professionnelle ou humaine, d’autres laissent des traces profondes. Lorsqu’un deuil se prolonge, désorganise ou enferme, il peut devenir pathologique.
Chez les soignants, ce type de deuil est peu reconnu, rarement verbalisé, et souvent banalisé. Pourtant, il expose à un risque de souffrance psychique durable, voire de rupture avec le métier, l’équipe ou les patients.
Qu'est-ce qu’un deuil pathologique ?
On parle de deuil pathologique lorsqu’un soignant :
reste figé dans une phase du deuil (souvent culpabilité ou colère)
vit un retour obsédant de l’événement (images, souvenirs, ruminations)
évite certains patients ou situations qui lui rappellent le décès
ressent une culpabilité démesurée
perd le plaisir, l’énergie ou le sens dans le travail
s’isole émotionnellement ou relationnellement
développe des symptômes somatiques ou anxieux persistants
Ce n’est ni une faiblesse, ni un manque de professionnalisme, mais une souffrance qu’il faut entendre et accompagner.
Facteurs de vulnérabilité chez le soignant
Certains éléments augmentent le risque :
Lien fort avec le patient (long accompagnement, histoire personnelle)
Décès brutal ou mal vécu (violence, événement inattendu, situation injuste)
Contexte d’erreur, conflit ou désorganisation dans la prise en charge
Absence de rituel de clôture ou impossibilité de parler après le décès
Accumulation de morts sur une période courte
Surinvestissement émotionnel, manque de soutien ou de reconnaissance
Les conséquences possibles
Un deuil pathologique peut conduire à :
des troubles anxieux ou dépressifs
un épuisement professionnel (burn-out)
une perte de sens dans la mission soignante
des tensions dans l’équipe (déni collectif, rejet, surprotection)
un risque accru de désengagement ou d’erreurs professionnelles
Quand et comment agir ?
💬 Un soignant qui vit un deuil difficile a besoin :
d’être écouté sans jugement
d’un temps d’expression cadré, au sein de l’équipe ou hors de celle-ci
de ressources cliniques : supervision, psychologue du travail, cellule d’accompagnement
de pouvoir nommer ce qu’il ressent : la tristesse, la colère, la honte ou le sentiment d’échec
👉 Repérer les signes précoces est essentiel.
Un collègue qui change, s’éloigne, se désengage ou s’exprime avec une charge émotionnelle inhabituelle mérite une attention bienveillante.
Ne pas rester seul
Il est important que les soignants sachent qu’ils peuvent :
traverser un deuil
ne pas être immédiatement “résilients”
demander de l’aide sans que cela remette en cause leurs compétences
🎯 Des outils existent pour prévenir ou accompagner le deuil pathologique :
Groupes de parole encadrés
Médiation d’équipe
Supervision individuelle
Espaces éthiques ou temps de réflexion partagée
Le deuil pathologique chez le soignant est un signal d’alerte, pas un échec. Il révèle un métier de relation, fait d’engagement, de présence et parfois… d’épreuves profondes. Reconnaître cette douleur, c’est aussi protéger les soignants, leurs équipes et les patients à venir. Et permettre à chacun de continuer à soigner… sans s’abîmer.