L'IMPACT DE LA MORT POUR LA FAMILLE
La mort à l’hôpital ne touche jamais seulement le patient. Elle fait irruption dans l’histoire d’une famille, souvent brutalement. Même lorsqu’elle est attendue, elle reste une déchirure, une perte, une rupture.
Les proches deviennent alors des co-victimes du décès, que le système de soins a souvent du mal à reconnaître.
En tant que soignant, on peut se sentir démuni face à leur douleur, leur colère, leur silence ou leurs attentes. Pourtant, la qualité de l’accompagnement de la famille fait partie intégrante du soin.
Le choc immédiat : sidération, confusion, colère
À l’annonce de la mort, la famille entre dans un état de sidération. Ce choc peut se traduire par :
Un silence figé, un regard perdu
Des pleurs incontrôlés
Des questions répétées (“Il souffrait ?”, “Vous avez tout tenté ?”)
Une colère dirigée contre l’équipe ou contre eux-mêmes (“On aurait dû venir plus tôt…”)
👉 Laisser de la place à toutes ces réactions sans les juger est essentiel. L’entretien post-décès (cf. L’entretien avec la famille après un décès inattendu) est un temps crucial de reconnaissance, d’écoute et d’apaisement.
Le besoin de sens et de récit
La plupart des familles ont besoin de comprendre :
Ce qui s’est passé exactement
Comment s’est déroulée l’agonie (le cas échéant)
Si le patient a souffert
Qui était là
S’il a dit quelque chose
Ce récit n’est pas simplement factuel. Il permet de reconstruire une cohérence intérieure : “Il n’est pas mort seul”, “Il a été bien accompagné”, “On a fait tout ce qu’on a pu”. Ces phrases peuvent soulager la culpabilité ou contenir la douleur.
En tant que soignant, prendre 10 minutes pour retracer humainement ce qui s’est passé, avec des mots simples, c’est donner à la famille un outil pour faire face.
La gestion logistique et administrative : un second choc
Une fois la mort survenue, la famille entre dans une zone grise où les émotions fortes côtoient les démarches concrètes :
Choisir une entreprise de pompes funèbres
Organiser une cérémonie
Signer des papiers
Récupérer des affaires personnelles

👉 Le système hospitalier est parfois peu préparé à cet entre-deux. Pourtant, les détails comptent :
Un lieu calme pour se recueillir
Un accompagnement clair sur les démarches
Un soignant disponible pour répondre aux questions
C’est ici que les équipes de soins palliatifs, les assistantes sociales, les agents mortuaires ou les aumôniers peuvent jouer un rôle précieux.
Les familles invisibles
Toutes les familles ne se ressemblent pas. Certaines sont nombreuses, fusionnelles. D’autres sont absentes, distantes, ou en conflit. Certaines situations complexes doivent interpeller les soignants :
Familles recomposées ou éclatées
Proches non reconnus (amis, compagnons non mariés)
Conflits autour du patient (héritage, décisions de soins, etc.)
👉 Il est essentiel de respecter la diversité des liens affectifs, même lorsqu’ils ne sont pas “officiels”. Mourir, c’est aussi laisser derrière des histoires humaines complexes.
Le deuil commence dès l’hôpital
Pour la famille, le deuil ne commence pas à l’enterrement, mais dès l’annonce du décès.
L’expérience qu’elle fait de l’hôpital et des soignants dans ces moments va marquer sa mémoire émotionnelle pendant des années.
Un accueil respectueux, une parole bienveillante, un geste d’humanité, un silence partagé — ce sont autant de graines de réparation semées dans un moment de chaos.
L’impact de la mort sur la famille dépasse la perte biologique d’un être cher. Il touche à l’identité, à l’histoire familiale, à la mémoire et au devenir collectif.
En tant que soignant, nous ne sommes pas responsables de cette douleur, mais nous avons la possibilité d’en adoucir les contours.
Reconnaître la place des familles, les écouter, leur offrir un cadre digne, c’est aussi soigner, au sens large du terme.
Et parfois, pour la famille, ce qui reste du passage à l’hôpital, ce ne sont pas les traitements… mais la façon dont on leur a dit que c’était la fin.