L'impact de la mort pour le soignant

La mort fait partie du quotidien des soignants. Pourtant, elle laisse des traces. Invisibles parfois, silencieuses souvent. Les soignants accumulent les pertes, dans l’urgence ou dans le silence. Il est urgent de reconnaître et de nommer l’impact de la mort sur celles et ceux qui accompagnent.

Une souffrance souvent invisible

Fatigue émotionnelle, usure de la compassion, désengagement progressif… Les conséquences de l’exposition répétée à la mort sont nombreuses, mais rarement exprimées. Le soignant est souvent perçu comme professionnel, solide, voire “armé” face à ces situations. Ce rôle, qu’il s’impose parfois lui-même, l’empêche de partager son ressenti. Le silence institutionnel ou l’absence d’espace d’expression après un décès peuvent aggraver le sentiment d’isolement. La charge émotionnelle s’accumule, silencieuse, jusqu’à ce que le corps ou l’esprit dise stop.

« J’ai l’habitude », dit-on. Mais la mort ne s’habitue pas. Elle s’empile.

L’effet cumulatif des pertes

Dans une carrière soignante, ce ne sont pas une, mais des centaines de morts que l’on croise. Certaines marquent plus que d’autres : un patient jeune, une injustice flagrante, une situation mal accompagnée. D’autres passent plus vite, sans laisser le temps de comprendre ce qu’on a ressenti. Et pourtant, chacune ajoute quelque chose à l’édifice émotionnel du soignant. Lorsque ce vécu ne peut être exprimé ou reconnu, le corps prend parfois le relais : troubles du sommeil, épuisement, somatisations, irritabilité, voire arrêt de travail. Le deuil professionnel existe. Il est réel, même s’il n’est pas toujours nommé.

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L’impact professionnel : entre doute et désengagement

La répétition des pertes peut parfois faire vaciller les repères professionnels. Certains soignants doutent de leurs compétences, d’autres se sentent dépassés, ou adoptent une posture de distance affective. Dans certains cas, la perte de sens s’installe, discrètement. Ce sont aussi des jeunes professionnels, peu préparés à ces réalités, qui s’interrogent très tôt sur leur avenir dans le soin. Faut-il s’impliquer à tout prix, ou se protéger au risque de devenir insensible ? Cette tension intérieure est fréquente, mais rarement abordée dans les formations ou les temps collectifs.

« Si je ne ressens plus rien, est-ce que je suis encore un bon soignant ? »

Rompre le silence : partager, déposer, se ressourcer

Parler de ce que l’on vit, c’est déjà commencer à se protéger. Déposer ses émotions, même brièvement, dans un espace sécurisé, peut éviter que la souffrance ne s’enkyste. Les échanges entre collègues, les groupes de parole, les temps de retour d’expérience après un décès ne sont pas des luxes : ce sont des outils de prévention. Les institutions peuvent aussi proposer un accompagnement psychologique, des cellules de soutien, ou favoriser la création de rituels d’équipe. S’autoriser à ressentir, à dire, à nommer ce qui pèse, c’est prendre soin de soi pour mieux continuer à prendre soin des autres.

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Reconnaître l’impact de la mort sur les soignants ne remet pas en cause leur professionnalisme. Au contraire, c’est un acte de lucidité et de protection. Il est nécessaire d’intégrer ces réalités dans la culture soignante, dans les équipes, dans les institutions. Pour que chacun puisse trouver des ressources, du soutien, du sens. Et continuer à accompagner la vie, même au cœur de la fin.