L'IMPACT DE LA MORT SUR L'ÉQUIPE SOIGNANTE
Lorsqu’un patient meurt, ce n’est pas seulement un soignant qui est affecté : c’est souvent une équipe entière. Car la mort n’a pas d’impact isolé. Elle traverse les groupes, s’infiltre dans les couloirs, bouscule les repères partagés. Certains la taisent, d’autres s’effondrent, quelques-uns se fâchent. Ce que vit un soignant face à la mort peut devenir un enjeu collectif : elle révèle les forces d’une équipe… ou ses failles. Reconnaître cet impact, c’est faire un pas vers une culture du soin plus solidaire et plus humaine.
La mort du patient : une onde de choc collective

Même lorsque la mort est attendue, elle n’est jamais neutre. Elle fait irruption dans les plannings, dans les discussions, dans les gestes du quotidien. Elle peut déclencher tristesse, colère, culpabilité, soulagement parfois, ou silence gêné. Chaque membre de l’équipe réagit selon son histoire, son lien au patient, sa fonction dans le service. Un aide-soignant, une infirmière, un médecin ou un psychologue ne vivent pas l’événement de la même manière, mais tous sont touchés.
L’émotion est là, parfois palpable, mais souvent contenue. Dans une culture professionnelle qui valorise le contrôle, les affects sont rarement nommés. Alors la mort devient un non-dit qui s’immisce dans les relations d’équipe.
L’équipe bousculée : incompréhensions, tensions, retraits
Lorsque la douleur ou l’émotion ne peuvent pas s’exprimer collectivement, des tensions apparaissent. Une collègue pleure et se sent jugée. Un autre continue comme si de rien n’était, et semble indifférent. Certains prennent des distances, d’autres s’épuisent à vouloir compenser. Le silence sur ce que chacun ressent peut créer des malentendus, des jugements, des ruptures dans la dynamique du groupe.
L’équipe, normalement ressource, peut devenir un lieu d’inconfort. Le sentiment d’injustice peut surgir : « pourquoi n’a-t-on pas fait mieux ? », « pourquoi n’en parle-t-on pas ? ». Ces tensions souterraines peuvent altérer la confiance, fragiliser la coopération, ou faire naître des conflits larvés.
Quand la mort resserre les liens : entraide et solidarité
Mais la mort peut aussi révéler la force d’une équipe. Certaines savent créer un espace de parole, même bref, après un décès. Un mot dans le vestiaire, un regard échangé, un moment collectif où l’on nomme l’événement. Ces gestes simples permettent à chacun de déposer un peu de son émotion. L’équipe devient alors un soutien, un cocon de résilience, un lieu où l’on se sent légitime d’être humain.
Ritualiser certains moments, écrire un mot à la famille, laisser une trace du patient dans l’histoire du service sont autant de façons de construire une mémoire collective face à la perte. Cela permet de ne pas accumuler les morts comme des statistiques, mais de leur donner du sens, ensemble.
Favoriser une culture d’équipe qui accueille la mort
Il ne suffit pas de bien faire : il faut aussi pouvoir en parler. Créer une culture d’équipe qui autorise les émotions, sans les imposer, est une des clés de la prévention du mal-être collectif. Cela passe par :
Des temps de parole formels ou informels après un décès.
Une reconnaissance de la souffrance des professionnels.
Des espaces de régulation émotionnelle entre collègues.
Un appui de la hiérarchie pour ne pas banaliser l’impact des décès répétés.
Chaque service, chaque équipe, chaque hôpital peut inventer ses propres rituels, adapter ses outils, créer des espaces de respiration. L’important n’est pas la perfection, mais l’intention : accueillir ce que la mort fait à chacun pour prendre soin du collectif.
👉 SURvivre ensemble à l’épreuve du décès
Une équipe soignante est une matière vivante. Elle respire, elle vacille, elle s’ajuste. Et face à la mort, elle peut se renforcer… ou se fissurer. Reconnaître l’impact de la mort sur le groupe, ce n’est pas “faire du sentiment” : c’est permettre à chacun de continuer à soigner avec justesse, humanité, et sens. Ce travail collectif est une des conditions de la santé psychique des soignants. Et un des piliers d’un soin digne.