Le Carnet de route de Thibaud DAMY

Bienvenue sur ce carnet de route, un espace dédié à l’aventure humaine et engagée de Thibaud DAMY. À travers un parcours de 800 km à pied, il traverse la France pour aller à la rencontre des soignants, partager leurs expériences et sensibiliser sur un sujet essentiel et trop tabou : l’impact de la mort sur celles et ceux qui soignent.

Chaque étape de ce périple sera racontée ici, sous forme d’un journal quotidien. Rencontres, témoignages, émotions et réflexions jalonneront ce voyage unique, où l’humain est au cœur de chaque pas.

Suivez cette marche engagée, partagez les histoires et faites partie de ce mouvement de sensibilisation essentiel.

Jeudi 10 avril : De Vendôme à Prunay, 39744 pas, 30,9km

A suivre …Chez Nadine et Christian à Prunay

Mercredi 9 avril : Visite de l’EPHAD Bon Secours et Conférences à l’EPHAD et au CH du Vendômois :11370 pas, 8,9km

Réunion à l’EPHAD de 14h à 17h
Réunion au CH Vendomois dans le centre de Gériatrie de 20 à 23h.

Mardi 8 avril : De Morée à Vendôme : 28420 pas, 22,8km

La marche se poursuit le long du Loir. Al’Isle devant le parking de l’’Eglise de Saint Je suis rejoint par deux jeunes journalistes venues de Paris, Domitille et Julie, qui souhaitent comprendre la démarche. Elles sont ravies de cette parenthèse, de respirer un bol d’air frais et de profiter d’une escapade dans la campagne française.

Domitille m’interroge pendant que Julie prend des photos. La discussion est intense. Domitille a préparé de nombreuses questions… et nous en oublions le chemin et nous retrouvons sur une route bitumée. Le soleil tape fort. Tout en essayant d’expliquer le sens profond de cette marche — l’importance de faire reconnaître la mort comme une mission à part entière de l’hôpital — j’espère être assez clair pour que tous les messages soient bien perçus et que cet article aidera la cause.

Vendôme est en vue. Au loin, se détache le clocher de l’abbaye de la Trinité.
Quelle belle ville, où l’eau — le Loir, encore lui —, son histoire, ses monuments en pierre taillée qui se reflètent dans cette eau calme, et ses rues piétonnes, donnent à la ville une dimension plus humaine. Ici, on retrouve le plaisir de la marche… et de la rencontre.

Nous parcourons les derniers mètres le long du Loir, dans Vendôme, entre les monuments qui se reflètent dans l’eau et le soleil éclatant de ce printemps. Les épaules de Julie garderont un petit souvenir rougeâtre de cette escapade.

Nous sommes accueillis par Thomas et Hélène Guinamard et Thibault qui participe à la gestion administrative de l’EPHAD. Thomas est le directeur de l’EPHAD Bon Secours depuis plus de 20 ans à Vendôme. Je rencontre le soir même dans son jardin sous l’abbaye de la Trinité Valérie la directrice du CH du Vendômois.

Lundi 7 avril : De Chateaudun à Morée : 42792 pas ; 34,2km

Et c’est reparti vers Bonneval, la « Venise » de Beauce, puis Châteaudun, entre montées vers plateaux jaune d’or et vert tendre, et descentes dans les vallées le long du Loir, avec ses arbres, ses ombrages, et le flot de l’eau qui a alimenté tant de moulins désormais restaurés en maisons de vacances. Après 34 km de marche, arrivée à Châteaudun sous son château perché à flanc de colline et illuminé par les derniers rayons du soleil. Que cette vision est belle et hors du temps.
Le soleil brille depuis 10 jours, la nature explose. Le printemps est là, de multiples fleurs, partout, dans les bois, aux bords des chemins, illuminent mon chemin… L’esprit vagabonde, se répare. Mais les ampoules — pied droit puis pied gauche — me ramènent au prochain pas vers Bonneval, puis vers Châteaudun, puis Morée.
Je marche avec mon logo « Les Sûrvivants » sur le thorax et à l’arrière de mon sac à dos. Cela interpelle. Et, au hasard des rencontres avec les marcheurs, les riverains, nous partageons sur ce sujet : la mort, le soin, l’évolution du système de santé, les déserts médicaux (Lien vidéo 5). La parole des citoyens se libère. Je rencontre, à 50 km d’écart, deux couples qui viennent d’enterrer chacun un ami âgé suicidé, faute d’accès aux soins et de ne pouvoir être soulagé. On en est donc arrivé là ici ? Anne, psychomotricienne rencontrée au hasard du chemin témoigne du changement bouleversant du système de soin.

Accueilli par de multiples personnes m’ouvrant leur maison, me faisant visiter Bonneval et le Centre de psychiatrie dirigé par Henri Ey, un des pères de la psychiatrie moderne, nous avons des discussions poignantes, des partages de 30 ans de vie, où bien sûr la mort était présente : maladie de Charcot, accident de la route, mort subite, cette mort est bien présente et a guidé des trajectoires de vie (lien vidéo 6). Oui, la mort fait partie de la vie. Pourquoi était-elle tant taboue dans notre société ? Elle donne sens à la vie. Discuter de ce sujet, c’est si rare. La parole se libère, le rythme ralentit, on s’écoute. Cela nous rapproche. Est-ce cela, la fraternité ?

Dimanche 6 avril : De Bonneval à Chateaudun : 36581 pas ; 29,5km

Samedi 5 avril : De Thivars à Bonneval : 40598km, ; 32,3km

Vendredi 4 avril : Chartres à Thivars : 21124 pas ; 16,7km

Puis, il faut repartir. Journée de marche courte.
Je m’arrête à Thivars, chez Hervé Gorka, l’un des rythmologues de l’équipe.
Nous nous étions connus à l’HEGP, il y a 21 ans.
Accueil merveilleux par Hervé et Natacha. Partage avec deux de leurs enfants, étudiants en médecine, dont l’un se destine à la cardiologie.
Nous échangeons sur cette confrontation à la mort si précoce, si brutale, dans nos vies de jeunes soignants — alors que nos amis non-médecins vivent encore l’insouciance de leur âge. 
La maison d’Hervé se trouvait sur le chemin. Il n’y a pas de hasard dans la vie.

Jeudi 3 avril : Chartres : Réunion/Débat au Centre Hospitalier Louis Pasteur et conférence Résidence Montana ; 12427 ; 9,5km; Soleil

La première réunion-débat a lieu à l’hôpital le 4 avril.

Mais avant cela, je suis rejoint par Benjamin, cinéaste, venu mettre en image cette arrivée, cette première étape, avec son appareil photo professionnel et son drone, qui offre une mise en perspective saisissante. Nous sommes de retour dans la Beauce. Je foule à nouveau les mêmes sentiers dont « le chemin du désert » qui serpente entre une forêt magnifique d’arbres fins qui ont recouvert de leurs feuilles d’automne et des champs enclos à la verdure éclatante.
Nous nous dirigeons vers l’hôpital avec la cathédrale de Chartres qui s’élève peu à peu plus nous nous en approchons. Benjamin filme mon arrivée à l’hôpital Louis Pasteur. En réalisant le nom de l’hôpital, j’y vois un nouveau clin d’œil du destin à mon histoire familiale et personnelle. Mon arrière grand-père Alfred Damy aurait probablement été soigné par le petit-fils de Louis Pasteur : Louis Pasteur Vallery-Radot. Ce dernier était interne des hôpitaux de Paris lorsque la Grande Guerre éclata. Il fut affecté au poste de secours de la Malterie à Aix-Noulette, sur le versant nord-est de la colline de Notre-Dame-de-Lorette, dans le Nord.
C’est là qu’il écrivit son livre poignant et empreint d’humanité censuré immédiatement en 1916 : Pour la Terre de France, par la douleur et la mort, témoignage d’un jeune médecin confronté à l’horreur des corps et des âmes déchiquetés par la guerre…et probablement celui de mon ancêtre dont les blessures reçues le 15 septembre 1915 sous la colline de Lorette au porte des restes du village de Souchez a modifié profondément le destin de ma famille et le mien.

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Accueilli par Grégoire Rangé, nous visitons le service de cardiologie, ces nouvelles unités : ambulatoire et de syndrome coronaire aigu. Grégoire me fait visiter les locaux de la recherche dont la taille est impressionnante. Grégoire coordonne le registre français « France PCI»
Depuis les fenêtres du hall des ascenseurs à chaque étage, on patiente en contemplant la cathédrale, qui surgit au loin au-dessus des champs. Ici, l’attente des ascenceurs devient presque un plaisir…mais nous prenons les escaliers pour ne pas perdre de temps et nous dirigeons vers la salle de réunion.

Après une introduction du Dr Franck Albert, mon premier topo d’une longue série débute.
Vais-je trouver les mots justes ? Peu à peu, je perçois l’intérêt que suscite ce moment.
Les émotions et les ressentis se libèrent — qu’ils soient doux ou douloureux.
Les yeux, parfois, s’humidifient. Nous partageons nos vies de soignants.
Oui, la mort est omniprésente dans notre métier : brutale, inattendue, pendant ou après une intervention… Parfois même, elle atteint un collègue, ici, au sein même de l’équipe.

La parole se libère. La seule issue : briser l’isolement. Partager, entre collègues, nos émotions. Se réparer ensemble, pour rester debout. Et continuer à exercer notre passion commune : prendre soin des autres, sans s’oublier soi-même.

Applaudissements. Remerciements. Il y avait un avant. Il y aura un après. On espère un changement. On veut s’améliorer. Merci d’être venu… à pied.

Franck m’invite à faire une pause et à visiter la cathédrale avant la conférence.
Quelle magnifique cathédrale !

Puis la conférence débute du soir débute à la résidence Montana qui a pris place dans l’école normale des institutrices de Chartres, de magnifiques bâtiment en brique et pierre rénovées en 1920 avec un style art déco et située à proximité de l’hôtel Dieu.

Nous nous retrouvons dans une grande salle moderne ou des résidents équipés de déambulateurs passent par moment nous rendre visite.
Le comité éthique du CH dirigé par le Dr Pierre Socié à réaliser un vaste et large programme impliquant une dizaine d’intervenants, de tous horizons, de toutes professions. Entre 80 et 100 spectateurs. Plus de deux heures de prises de parole. La parole se libère. Les émotions aussi.
Enfin, on parle librement de ce que l’on ressent. Et que cela fait du bien de pouvoir parler ! Oui, nous avons des émotions. Les accueillir, c’est mieux les comprendre. Les partager, c’est mieux se réparer.

Une psychologue conclut par un topo que je résumerai ainsi : S-O-S :

-Savoir ce qui se passe en nous,

-Oser agir pour,

-se Sauver soi-même, rester debout, pour nous, pour nos patients, pour nos collègues qui ont besoin de nous. Appeler à l’aide quand on est submergé, c’est possible. Et c’est même un devoir. Le don de soi ne doit pas devenir l’oubli de soi.

À la fin de la conférence, nous recueillons avec nos collègues de nombreux témoignages en ce sens, et des remerciements sincères pour ce moment.

Je suis hébergé par Franck. Nous partageons, les liens se tissent. La fraternité se construit autour d’un « petit » verre de chartreuse.
Avant mon départ, Franck témoigne. Merci Franck, merci Catherine, pour votre accueil si chaleureux.

Mercredi 2 avril : Chartres : Préparation des topos ; 2305 pas ; 1,7km; Soleil

La journée est studieuse.
J’avance sur mes topos, concentré, absorbé.

Le soir, je rencontre Odile, qui s’apprête à débuter, dès le lendemain, son propre chemin vers le Mont-Saint-Michel, depuis Chartres.
Odile, grande élancé, magnifique yeux bleus et cheveux courts a environ 70 ans. Elle est, elle aussi, infirmière à la retraite. Décidément, tout le corps soignant marche. Peut-être parce que nos pas nous permette de retrouver cette relation à l’autre que nos cœurs n’ont jamais cessé de porter dans nos métiers.

Nous partageons nos vies, nos projets, nos familles, nos chemins croisés de soignants.
Son frère travaille en soins palliatifs, aux Mureaux, dans les Yvelines. Son fils est psychologue en soins palliatifs à La Réunion, passionné par l’interculturalité.

Odile me raconte ses débuts d’infirmière, à Namur, en Belgique, dans une unité de soins palliatifs. Elle garde un souvenir profondément ému et heureux de cette période.
Elle évoque ces infirmières venues d’Haïti, qui honoraient les morts avec douceur et poésie : elles déposaient des fleurs sur les draps blancs qui recouvraient ces corps toilettés, et dont les tristes derniers actes de soin avaient été lavés, comme un dernier geste de vie et de gaieté.

Je l’écoute, touché par la reconnaissance des familles, qui retrouvaient ainsi la beauté de leur proche décédé. Dans ce simple récit, quelque chose se transmet. Une manière d’accompagner la fin avec grâce.    

Un art de soigner… jusqu’au bout. Oui, accompagner la mort peut être gratifiant.

Mardi 1 avril : 3ème jour : D’Epernon à Chartres : 36824 pas ; 27,6km ; Soleil

Le lendemain, mardi 1er avril, je pars d’Épernon et quitte peu à peu la ville et ses faubourgs, où se succèdent les pavillons construits dans les années 60, entourés de jardins d’agrément ou de potagers. Je monte doucement sur le grand plateau de la Beauce. Le soleil brille.
Je reprends la route vers Chartres, à travers la Beauce baignée de lumière, les champs couverts de colza en fleurs et de pousses de blé. J’adore cette sensation d’être minuscule dans cette immensité.

Mais bientôt, je me perds : les marques rouges et blanches du GR ont disparu, effacées par les herses des tracteurs. Je suis au beau milieu de la Beauce. Mon genou gauche et ma hanche droite commencent à se faire sentir. J’aperçois deux panneaux au loin. Je m’en approche : « Houx » à 3 km, et « Hanches » à 6 km. Je ris : « Où suis-je ? À trois kilomètres de Houx ?! » Une coïncidence troublante.

Mon esprit s’anime. Voilà un poisson d’avril parfait. Je sors mon matériel vidéo et tourne le plus beau canular de ma vie : un cardiologue « En marche », perdu dans la Beauce, est contacté par l’Élysée… Esprit carabin, quand tu nous tiens !
Je partage la vidéo. La technique assure le montage depuis Reims. Elle est envoyée à mes proches, postée sur LinkedIn. Les groupes WhatsApp s’agitent, mes filles flairent la blague et s’interpellent : « Il n’a pas fait ça, quand même ! » Mes collègues sont à fond.
Et je découvre, non sans angoisse, que la vidéo a été transmise à leurs responsables, à des cadres… et au doyen de la fac. L’arroseur arrosé.

Mais au final, ils sont désormais tous au courant de cette aventure, et surtout de la nécessité de parler de l’impact de la mort sur les soignants, un sujet passé sous silence depuis tant d’années.
Faut-il en rire ou en pleurer ? À mon avis, il faut simplement avancer. Et quand le doute me prend quant à la suite de cette aventure, je reçois un SMS de soutien très chaleureux du Pr Michel Desnos, notre maître et chef de service à l’HEGP, devenu académicien. Il me le confirme : je suis sur le bon chemin.
Merci, Michel ! Il n’y a pas de hasard dans la vie. Chartres est en vue. À suivre…

À travers les champs de colza, jaune d’or, qui commencent à éclore, et les pousses vert tendre de blé qui finissent de germer, j’aperçois enfin la cathédrale Notre-Dame de Chartres. Je pense aussitôt au poème de Charles Péguy, La route de Chartres, mort en 1914 sur les champs de la Marne. On le cite souvent dans ma ville, car elle fut sa dernière demeure.

À l’arrivée, l’entrée dans Chartres se fait sous un haut pont en pierre qui enjambe la vallée et permet au chemin de fer de la franchir. Le soleil se couche lentement, diffusant une lumière tamisée et rasante, avec laquelle les feuilles des arbres prennent un éclat doré. Des joggeurs passent, vêtus de tenues de sport moulantes, les oreilles couvertes d’écouteurs.
Je franchis un rond-point et m’engage dans la rue pentue du Muret, qui grimpe vers les faubourgs de la cathédrale.

Je suis interpellé par une femme énergique et souriante, de l’autre côté de la rue :
— « Vous êtes un pèlerin ? »
— J’en suis un.
Cette petite femme pétillante, âgée de 75 ans, les yeux brillants de vitalité, me raconte son parcours, depuis la Tour Saint-Jacques jusqu’à la cathédrale de Chartres. Elle me demande où je dors, puis m’explique qu’elle a préféré l’hôtel près du rond-point. Elle fait les questions et les réponses, heureuse de retrouver un peu de contact humain après sa longue marche solitaire de Paris à Chartres.

Marie-Reine est une ancienne infirmière. Elle vient de déposer des prières à la cathédrale pour deux amis atteints de cancer. Son visage s’assombrit. Elle se prépare au deuil. Puis elle me demande la raison de ma marche. Je lui explique mon objectif.

Elle reprend la main dans la discussion, et se met à parler à flot continu. Elle me raconte l’ouverture de l’hôpital de Rangueil, où elle a travaillé dans une unité accueillant des patients atteints du SIDA. Elle se souvient « pour toujours » d’un jeune homme qu’elle affectionnait particulièrement, et qui, conscient de sa fin proche, lui avait confié quelques jours avant sa mort :
— « Ça me fait flipper… de mourir. »
Ses yeux rougissent. Marie-Reine pleure. Cela fait plus de 35 ans. Elle évoque l’impact de la mort dans cette unité, la douleur de voir ces jeunes partir si injustement.
Puis, elle prend congé, sans doute troublée d’avoir ravivé des souvenirs douloureux.
C’est cela, être soignant : nous n’oublions jamais ce que nous avons vécu.

J’arrive enfin en haut de la rue du Muret, au couvent des sœurs de la Charité de Saint-Paul, recommandé par Thomas Guinamard, directeur de l’EHPAD de Vendôme, qui va bientôt m’accueillir.
Je suis reçu avec le sourire bienveillant et l’amabilité d’une sœur vietnamienne, responsable de l’accueil des résidents de passage dans l’ancienne aile réservée aux novices, désormais désertée depuis quelques décennies. Le logement est simple, propre, moderne et fonctionnel — et surtout très calme.
Exactement ce qu’il me faut pour réfléchir, terminer de préparer mes communications pour le lendemain… et panser mes pieds.J’arrive enfin en haut de la rue du Muret, au couvent des sœurs de la Charité de Saint-Paul, recommandé par Thomas Guinamard, directeur de l’EHPAD de Vendôme, qui va bientôt m’accueillir.
Je suis reçu avec le sourire bienveillant et l’amabilité d’une sœur vietnamienne, responsable de l’accueil des résidents de passage dans l’ancienne aile réservée aux novices, désormais désertée depuis quelques décennies. Le logement est simple, propre, moderne et fonctionnel — et surtout très calme.
Exactement ce qu’il me faut pour réfléchir, terminer de préparer mes communications pour le lendemain… et panser mes pieds.

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Lundi 31 Mars : 2ème jour : De Rambouillet à Epernon; 28124pas ; 20km Soleil

Il fait beau. Le GR serpente à travers les jardins du château de Rambouillet. L’herbe est d’un vert éclatant, les jonquilles se reflètent dans les nombreuses pièces d’eau du domaine national. Un héron s’envole. Et j’espère que ce sujet de la mort saura, lui aussi, prendre de la hauteur. Quelques minutes plus tard, Camille Stromboni, journaliste au Monde, m’appelle pour finaliser son article. J’ai confiance en la vie. Même si, ce soir-là, je n’ai aucun endroit où dormir.

La CPTS du Chartrain, que j’avais informée quelques jours auparavant, tente de me trouver un soignant prêt à accueillir un cardiologue randonneur. Difficile de partager un moment d’humanité dans un désert médical. Après avoir traversé le petit village de Gazeran et longé une belle forêt qui retrouve ses feuilles de printemps, je remonte sur le plateau de la Beauce, entre champs de colza et de blé. La route me paraît bien longue jusqu’à Maintenon, où j’espérais trouver un gîte pour la nuit…

Arrivé dans les champs qui dominent Épernon, je contacte l’association Jacquaire du 28. En quinze minutes à peine, ils me trouvent le gîte et le couvert au Prieuré Saint-Thomas. Je découvre la ville d’Épernon à travers ses ruelles aux noms empreints d’histoire : « ruelle aux Geôles », « ruelle à la filasse », « rue à la paille ». Le prieuré, vaste bâtisse nichée au cœur d’un grand parc, est un véritable havre de paix.

Je suis accueilli par des sœurs originaires de Madagascar. Le soir, je partage le repas avec trois étudiants venus de Douai, qui préparent leur concours d’école de commerce. Nous dégustons un plat cuisiné par les sœurs malgaches.

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Dimanche 30 mars : 1er jour : Dampierre - Rambouillet;26839 pas ; 19km Soleil

La forêt d’arbres feuillus au-dessus du château de Dampierre est magnifique.
Quelle chance de débuter ce chemin par cette si belle forêt.
Le temps est bruineux, mais c’est bien agréable.
L’odeur de la forêt, des feuilles en décomposition, me semble un parfum voluptueux et bienfaisant, et me change de l’odeur de l’hôpital.

Le rythme de la marche s’impose, les pensées aussi.
Les patients que j’ai appréciés, partis trop tôt, et leurs familles.
Je savais qu’ils m’accompagneraient.
Je pense à ma famille : Claire, mes filles, mes parents, mes nièces, mon frère et ma belle-sœur, mon vieil oncle Bernard — que j’ai salué dans son EHPAD avant de partir et lui ai fait promettre de tenir le coup pour que je lui raconte mon périple. Promesse hypocrite car nous savions tous deux que nous n’avions guère de contrôle sur la fatigue de corps —, mes beaux-parents, et bien sûr à toute mon équipe que je laisse pendant de longs mois, et particulièrement à ceux qui, ce dimanche-là, assurent la continuité des soins.
Je me sens triste de les quitter. Triste pour moi, et pour eux.

Je me promets qu’à la première pause, j’enverrai un petit message sur WhatsApp à mes proches et à mon équipe.
Une fois le message envoyé, je me sens plus apaisé et plus présent au chemin et à sa beauté.

Avant de quitter cette magnifique forêt et de redescendre dans la vallée de Chevreuse, je teste le matériel et ma compréhension des explications de Jérôme, et je fais une courte vidéo pour expliquer le but de cette « dé-marche »…
Une marche pour décélérer, pour réfléchir, et prendre en considération la santé mentale des soignants.

Guillaume et Gwenaëlle Ricard, cardiologue et infirmière libéraux, m’y accueillent. Rambouillet, ville magnifique par son histoire, son dynamisme, sa forêt. Nous nous étions connu à l’HEGP, il y au moins un quart de siècle, nous sommes croisés quelques fois et gardés contact par les patients atteints d’amylose cardiaque que Guillaume nous réfère au centre de référence. Je suis reçu comme un roi. Un quart de siècle à rattraper autour d’un Saint-Émilion grand cru. Soirée inoubliable. Le lendemain, avant de repartir vers Maintenon, j’interviewe Guillaume et Gwenaëlle sur leur vécu de la mort en tant que soignants mais s’ajoute la passion de Guillaume pour l’HTA, un exemple à suivre. Témoignages sincères : Guillaume souligne l’importance du travail en équipe face à la mort, mais regrette de n’avoir eu qu’un seul stage sur ce sujet, sans formation réelle. Gwenaëlle, elle, a changé de service après un événement qui a mis à mal ses mécanismes de défense. Le déni, sans doute, a volé en éclats.

Dimanche 30 mars : Le départ !

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Carnet-de-route-Thibaud-DAMY-les-survivants-paysage-nature (1)

Aujourd’hui c’est le dimanche 30 mars, c’est le lancement de ce tour de France à travers le territoire et les hôpitaux pour sensibiliser à l’impact de la mort sur les soignants.
Une longue marche qui va m’amener à marcher seul ou accompagné de soignants, de la région parisienne à Toulouse.

J’avais réfléchi à partir de Paris, du point « 0 » de la France devant Notre-Dame, de chez moi, du siège de l’AP-HP ou de mon hôpital.
Mon intuition me guidait, comme souvent, peut-être trop souvent, qu’il fallait partir d’un lieu symbolisant les patients pour arriver dans un hôpital, lieu de travail des soignants.

Le tout premier jalon, le « point zéro », se devait d’être symboliquement la maison d’Agnès Farrugia, directrice de l’Association Française Contre l’Amylose (AFCA).
Depuis des années, nous œuvrons, avec beaucoup d’autres soignants et patients, à améliorer la prise en charge des malades et nous avons accompli de grands pas ensemble.
Et c’est un heureux hasard – découvert seulement le jour du départ – que le sentier GR655 passe devant sa porte, à Dampierre.
Il n’y a pas de hasard dans la vie.

Agnès m’a ouvert sa maison et son cœur, m’accueillant avec un émouvant comité de départ surprise : Evelyne, Gérard, Sylvie et Jérôme. Il n’aurait pu y avoir de commencement plus juste que celui-ci, entouré de patients et de compagnons d’engagement. Car si cette marche interroge l’impact de la mort sur les soignants, elle vise avant tout à mieux accompagner les patients et leurs familles dans cette ultime étape qu’est la fin de vie. Qui souhaiterait être entouré, en ces moments-là où la vie s’en va, de soignants à bout de souffle, mal formés, épuisés ? Et pourtant, c’est encore trop souvent la réalité. Merci Agnès pour cette surprise.

Après un petit déjeuner généreux dans la magnifique maison lumineuse d’Agnès, où la lumière entre de partout, et des échanges emplis de chaleur, entourés des jouets de ses petits-enfants — qui étaient bien là pour rappeler la beauté de la vie et la joie de son renouvellement —, nous avons tenté de tourner une courte vidéo pour les réseaux de l’AFCA… Une aventure en soi, puisque je découvrais pour la première fois le maniement du matériel que j’avais acheté à la hâte pour partager mon aventure, en m’adaptant aux nouveaux moyens de communication. Et comme un clin d’œil de la technologie, un micro Bluetooth (sans fil) défaillant nous a donné du fil à retordre. Heureusement, Jérôme avec son physique de jeune cinquagénaire— calme, bienveillant, souriant et perspicace — a su trouver la solution. Il en a profité pour m’initier au fonctionnement de cette nouvelle panoplie : stabilisateur, micros, connexion au portable…Pris de compassion, et un rien  surpris par ma désorganisation technique, il m’a offert une batterie externe, pas trop lourde, qui allait s’avérer précieuse pour ne pas perdre mon chemin, étant parti sans carte et sans guide, car pour 800 km, cela aurait fait un poids non négligeable supplémentaire. Je la garde précieusement. Merci Jérôme, tu es déjà sur la route avec moi. J’ai confiance en la vie.

Puis le moment est venu. Devant le portail d’Agnès, j’ai fait mes premiers pas, engagé dans une ruelle ombragée qui s’élève doucement au-dessus du château de Dampierre.
Une séquence pleine d’émotions, pour nous tous… et pour moi en particulier, qui me lance dans cette traversée sans savoir si mon corps, mon esprit, tiendront bon.

800 kilomètres. Vais-je parvenir à les parcourir jusqu’au bout ? N’ai-je pas été trop ambitieux ? Je ne sais pas. Je me retourne : ils sont là, derrière moi, devant le portail d’Agnès, à me saluer. Je leur rends leur salut, maladroitement, avec mes bâtons de marche.

Gérard aussi avait des bâtons. Des bâtons imposés par la maladie, qui s’impose de plus en plus à lui. Et il marche, défiant sa faiblesse, son trouble de l’équilibre. Et pourtant, il est venu là, avec Evelyne — toujours attentive à lui — de bon matin, pour m’encourager.

Quelle leçon de courage ils me donnent, tous les deux ! Quelle leçon me donne aussi Sylvie, avec son doux sourire. Plutôt que de me parler de sa santé, elle me donne des nouvelles d’Élise, de son mari et de son fils et de sa vie à Caen. Élise était une ancienne soignante de l’équipe, toujours prévenante, souriante et attentive, qui aimait choisir les repas avec les patients, mais aussi les border le soir…Toutes ces petites attentions, qui ne coûtaient rien et les rendaient si heureux. Si bien que beaucoup de patients restaient en contact avec elle et se faisaient une joie de la retrouver lors des hospitalisations itératives. Le soin, ce n’est pas que des actes techniques référencés. C’est aussi construire une relation à l’autre, une relation humaine.

La relation à l’autre, l’humanité, est plus forte que tout.

J’ai confiance en la vie.
Nous allons réussir à briser le tabou de l’impact de la mort sur les soignants.

C’est parti !

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Février - Mars : Les préparatifs

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